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Discours prononcé à l’occasion du 80ème anniversaire de la Libération de Rosheim

Dimanche 24 novembre 2024

*Salutations des personnalités présentes

**Introduction

Que d’émotions ! Que d’émotions d’être aujourd’hui à Rosheim pour célébrer ensemble le 80ème anniversaire de la Libération de votre ville.

Les sentiments se mélangent lorsque l’on cherche à se replonger dans ce moment historique. Fierté de voir le devoir accompli, sentiment de puissance face à l’exploit réalisé pendant de si longs mois pour libérer notre pays, profonde humilité pour nous qui regardons cela des décennies plus tard, dans un monde plus moderne de se dire qu’ils l’ont fait, mais aussi tristesse et colère de voir à quoi la folie des hommes a conduit. Au moment de la Libération, c’est le moment où l’on découvre l’ampleur des pertes, et que nous réalisons qu’il n’y avait pas de limites à l’horreur au cours de cette Seconde Guerre mondiale.

Vous l’aurez compris, c’est avec une émotion sincère que je prends la parole pour rendre hommage aux femmes et hommes qui, il y a 80 ans, ont permis à Rosheim, à Strasbourg, à Molsheim et à tant d’autres villes d’Alsace de retrouver la liberté. Aux femmes et aux hommes, militaires et civils qui d’une manière ou d’une autre ont permis de concourir à la victoire.

Mesdames et Messieurs, nous le disons à chaque cérémonie, nous le redisons encore, mais aujourd’hui nous devons l’affirmer avec plus de force que jamais : les sacrifices endurés lors de cette guerre sont toujours le prix de nos libertés actuelles.

Le sang versé au cours de la Seconde Guerre mondiale est le prix terrible, effroyable, qu’il a fallu payer à l’époque pour que notre modèle basé sur la liberté, l’égalité, la fraternité triomphe. Et cette cérémonie aussi émouvante soit-elle, ne sera jamais bien assez longue pour rendre hommage aux millions d’hommes et de femmes à travers l’Alsace, la France, l’Europe et le monde que nous pourrions remercier et qui ont permis de nous libérer et qui ont permis que Rosheim vive libre. Ils se sont levés, parfois du bout du monde pour défendre notre idéal de justice et de liberté.

C’est donc aussi un sentiment de vertige qui nous anime lorsque nous imaginons cela.

80 ans après la fin de la guerre, ce sont tous ces sentiments (fierté, humilité, tristesse, colère, vertige), qui doivent rester vivants, ancrés, et enracinés dans chacun de nous et plus particulièrement chez les plus jeunes générations en pensant à la Libération. Si nous ne réussissons pas cette transmission, alors les leçons de cette guerre seront oubliées, alors les drames, les violences, les décès, ne seront qu’un chapitre d’une livre qui se ferme. Nous rangerons ce livre sur une étagère et nous oublierons notre passé. Or un peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre. C’est Churchill qui le disait. Je vous propose aujourd’hui que chacun, au fond de nous, se fasse la promesse de laisser ce livre ouvert, de feuilleter régulièrement ces pages, de les lire à son entourage et de devenir ce passeur de mémoire engagé pour le bien de son foyer, pour le bien de son pays, pour le bien de sa nation.

*** Libération de Rosheim

Mesdames et Messieurs, vous le savez, depuis plusieurs mois, la France a entamé des cérémonies de commémoration du 80ème anniversaire de la Libération partout sur le territoire national.

Après les plages du Débarquement en Normandie puis en Provence, après la Libération de Paris puis celle de Strasbourg commémorée hier, nous arrivons aujourd’hui au 80ème anniversaire de la libération de Rosheim, que nous commémorons ce dimanche, avec quelques jours d’avance pour permettre au plus grand nombre d’en être témoins.

A Rosheim, le 26 novembre 1944 restera à jamais la date symbolique incarnant la fin de l’oppression nazie. Le 26 novembre 1944, les soldats du 30ème régiment de la 3ème Division d’Infanterie américaine libèrent la ville. Quelques jours plus tard, ils seront relevés par des éléments de la célèbre 2ème DB du général Leclerc.

Cette célèbre 2ème DB qui venait d’accomplir quelques jours auparavant, la promesse faite dans le désert libyen, leur serment de Koufra, pris en 1941 « jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg ».

Strasbourg libérée, Rosheim libérée, mais la guerre n’est pas finie, les armes ne peuvent pas encore être complètement déposées. Il faut libérer toute l’Alsace.

C’est plusieurs mois plus tard, le 8 mai 1945 que la capitulation de l’Allemagne nazie prend fin. C’est à ce moment que les cloches des églises Saint-Etienne et Saints-Pierre-et-Paul, durant une heure sonnent à toute volée. La guerre est finie.

****L’Alsace et la Moselle : une histoire singulière

La guerre est finie, mais ils manquent des hommes à l’appel. Ils manquent les combattants morts, ils manquent les combattants disparus, ils manquent les membres de la communauté juive qui habitaient Rosheim, il manque les civils morts en déportation et en internement, ils manquent les incorporés de force encore en captivité. Ces derniers ne rentrent pour certains qu’au printemps 1946. Et tant d’autres ne rentreront jamais.

Mesdames et Messieurs, comment imaginer célébrer la commémoration de la Libération de Rosheim sans, parler de notre histoire si particulière, à nous alsaciens et mosellans ? Annexés au Reich allemand, nous avons vécus sous le joug nazi dès juillet 1940. Partout en Alsace Moselle, une politique de germanisation et de nazification débute. Elle porte un nom : la défrancisation : interdiction de parler français, disparition de la presse française, de la monnaie et des timbres français. Les enseignes des magasins et les plaques de rue sont germanisées, mais aussi les noms de villes et villages, les noms et prénoms. Les statues françaises sont déboulonnées, les monuments aux morts sont germanisés, les associations sont dissoutes, l’évêché de Strasbourg et de Metz est sous contrôle, les bibliothèques sont épurées de tous les ouvrages en français… Toute trace d’attachement à la France doit disparaître.
A la suite de cette politique, on demande aux alsaciens et mosellans de rejoindre l’armée régulière allemande. Qui est volontaire ? c’est un échec. Alors l’Allemagne nazie réplique. Ils seront incorporés de force. Il faut des hommes. 130 000 alsaciens et mosellans, contre leur gré, endossent l’uniforme allemand et se battent contre leur patrie.
Il faut des femmes aussi. 15 000 rejoindront le Reichsarbeitsdients, participant à l’effort de guerre du Reich, contre leur gré.

Aucun de ces hommes ou femmes n’est revenu le même. Sur les 130 000 hommes, 30 000 sont morts, 30 000 sont revenus blessés de guerre ou invalides, 10 000 ont été portés disparus.

Et après la guerre, le sort qui leur a été réservé par notre République n’est pas digne. Ils ont été oubliés, mis de côté. Cette histoire dérangeait.

Qu’il est long le chemin de la nuance dans la grande histoire nationale…
C’est seulement en 2008 que le Président de la République d’alors a consacré un discours sur le sort si particulier de l’incorporation de force, à Colmar.

C’est seulement en 2022 qu’un contenu pédagogique concernant l’incorporation de force a été créé pour que les enfants de ce pays puissent l’étudier à l’école C’est seulement le 21 novembre 2024, hier, que le Président de la République est venu au Mémorial de l’Alsace-Moselle à Schirmeck en visite officielle pour lever le voile sur cette histoire si particulière.

Hier, enfin, en 2024, 80 ans après la fin de la guerre, il a été montré à la France de l’intérieur que le drame de l’incorporation de force, non ce n’est pas une anecdote locale, non. Cela fait partie de la grande histoire de la France et de l’Europe. Il a été demandé que ce drame soit mieux connu. La présence du chef de l’Etat était tout à fait symbolique. Elle dit que c’est la France tout entière qui s’incline devant tous les combattants pour nos libertés.

Il est des chapitres difficiles à écrire dans une histoire, je vous propose à présent que celui-ci, qui était alors trop silencieux prenne vie partout en France avec toutes les nuances, toutes les voix, tous les lieux qu’il incarne. Que l’incorporation de force, ce drame, soit mieux connu.

Et nous aurons besoin de chacun de nous ici pour le faire vivre.

*Conclusion

Au sujet d’une autre mémoire, Marc Bloch, résistant et historien alsacien, avec ses mots disait : « L’incompréhension du présent naît fatalement de l’ignorance du passé. »

Alors merci à celles et ceux qui nous transmettent cette mémoire, anciens
combattants, élus, associations mémorielles, citoyens engagés et, plus encore, merci aux jeunes présents aujourd’hui de devenir ces passeurs de mémoire.

En honorant notre histoire, vous faites vivre les valeurs fondamentales qui fondent notre société : la liberté, la dignité et la paix. Ces idéaux, acquis au prix de tant de sacrifices, ne sont pas seulement un héritage, mais des repères essentiels que nous devons préserver et transmettre à jamais.

Vive la 2ème DB ! Vive la République et vive la France !

Crédit photos : Mairie de Rosheim